Fête des Anciens du 24 avril 2005

Saint Joseph Sarlat

Discours à deux voix :
Elisabeth Dartencet (1974)
Suzanne Tartarat (1982)





ST : Dans sa belle chanson contre le racisme ordinaire, Pierre Perret constatait que sur la partition de vie de « Lily » il fallait deux noires pour une blanche.... La petite musique de la journée des anciens à Saint-Jo, douce le plus souvent, cacophonique parfois, met cette année à l'honneur deux présidentes de journée pour un président habituel... la condition de la femme a encore de beaux jours devant elle....

ED : Lorsque les filles ont fait leur entrée au collège, certains ont pu penser que c'était le début de la fin : gageons que ce choix de présidentes pour la journée des anciens ne marque pas la fin de tout début d'espoir pour l'avenir des vieux murs. A deux voix nous disons notre joie d'être à ce titre parmi vous aujourd'hui et pardon si le discours est deux fois plus long que d'habitude !

ST : Alors que Jean-Paul II  vient de quitter le monde terrestre où il a tant œuvré pour les Hommes, je me souviens du voyage organisé en juillet 1979 par l'abbé Zanette à l'occasion duquel nous avions pu apercevoir le Saint Père, place Saint-Pierre....

ED : Un an plus tôt, il avait marqué son arrivée par cette phrase : « N'ayez pas peur » : souhaitons qu'elle nous guide encore aujourd'hui concernant l'avenir du collège. C'est aussi ce que semblait nous dire la haute silhouette d'Henri Tournier-Lasserve, que toutes deux avons connu comme directeur d'établissement.

ST : On l'entendait d'abord arriver puis son ombre cassée, compliquée, surgissait au fond du couloir et en le croisant on ne voyait plus que son regard bleu, embrassant tout l'espace.

ED : Appelé au renfort de la cause perdue qu'était Saint-Jo, il avait relevé l'établissement. Trente ans après, tout recommence, probablement pour que tout continue.

ST : La journée des anciens permet de se mobiliser au présent et pour l'avenir, mais nous n'échapperons pas à quelques souvenirs en tout genre... et donc pas exclusivement féminins.

ED : Je suis l'héritière d'une tradition familiale et masculine, d'une lignée Dartencet à Saint-Jo : mon grand père qui a connu en 1905, il y a exactement 100 ans, la fermeture du collège sous le coup de la loi de séparation de l'église et de l'Etat ; mon père pensionnaire de l'âge de 9 ans à 16 ans qui dans une dernière lettre rend hommage à ses maîtres Jésuites de St-Joseph,  pour leur enseignement par la voix et par l'exemple et leur inlassable dévouement ; mes frères Alain, Président de l'Association des anciens, et Arnaud, qui ont fait ici l'ensemble de leur scolarité....et je suis la première fille de cette histoire, l'une des premières aussi qu'ait connu Saint-Jo, 4 filles sur 28 élèves dans ma classe de seconde lorsque je suis arrivée.... Pas par hasard : je l'ai voulu, après une rencontre marquante avec Henri Tournier-Lasserve, un dimanche soir cafardeux où je raccompagnais Alain... son regard bleu acier m'a saisie. J'ai fait le siège de mon père pour rejoindre Saint-Jo : Alain partait et j'arrivais pour rendre plus douce l'arrivée de mon petit frère.

Immédiatement prise en charge par les amis d'Alain, notamment Pierre Tissandier et Charles de Castelbajac, qui avaient mission de veiller sur moi, je n'arrivais pas en terre inconnue. J'ai bénéficié de leurs conseils avisés sur les dragueurs impénitents et, grâce à eux, de l'indulgence inconditionnelle de Monsieur Combette. Mais j'ai aussi essuyé leur esprit de potache lorsque, un soir à la chapelle, ils ont mis sous mon nez innocent la photo de l'équipe de volley sortant de la douche en tenue d'Adam... J'ai piqué un fard mémorable sous les yeux soupçonneux de M. Tournier.

En cette année 2005 où nous fêtons le centenaire de la naissance de Bécassine, je voudrais vous parler de la condition de la femme à St Joseph. Je ne suis pas tout à fait une pionnière mais, comme je le disais plus haut, j'ai tout de même connu l'époque où nous étions une minorité remarquée.... Mais cependant agissante. L'équipe de volley, brillamment entraînée par Raymond BARRAZ, doit à notre fougue de supportrices au moins 10 % de ses succès.

Malmenées parfois par certaines réflexions machistes, nous avions aussi des contreparties inattendues, je ne citerai que le 15 de moyenne sur l'année en anglais que l'examinateur au bac n'a jamais pu s'expliquer. Je n'ai qu'un mot à dire : merci M. Jonckeere !

M. Morelon était un peu moins compréhensif, totalement découragé par notre nullité, lorsque, de retour des visites aux personnes âgées dans le cadre des conférences de Saint Vincent de Paul, nous devions courir un 100 m juste après avoir bu une tasse de café copieusement allongée d'une rasade de rhum

Saint-Joseph m'a profondément marquée, et plus que dans les souvenirs puisque mes trois enfants sont les héritiers directs de mon mariage avec Damien, rencontré au collège.

Saint-Jo a servi de tremplin à l'amitié que nous unit. A une poignée d'années près, nous aurions pu nous connaître au collège... mais c'est à l'occasion d'une journée des anciens que nous nous sommes « trouvées » alors même que nous nous croisions dans l'entreprise où nous étions entrées un an plus tôt : anciennes sans le savoir...

ST : Ce jour-là, dans la cour, Elisabeth Brugère, inconnue à mon bataillon, m'a donné son nom de jeune fille comme on donne un mot de passe qui éclaire tout le reste : Dartencet ! Mais c'est bien sûr ! la sœur d'Arnaud, mon complice de scène, la star des pièces montées par la troupe du collège, le clan des théâtreux encadrés par Claudine Bost et Patrick Lévrier qui passait le mercredi en répétitions pour faire la peau à quelques rôles avant de les avoir vraiment dans la peau. Il a été le Rhinocéros de Ionesco et moi, essayez donc d'imaginer, la belle Hélène de Giraudoux ou encore la Langouste de Clérambard.
Avant de jouer les extraverties sur la scène près de laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, c'est vrai que j'ai d'abord eu froid à l'ombre des vieux murs. Et j'ai aussi tremblé de peur en cette rentrée 1975, partagée entre le regret de vacances qui s'achèvent et l'envie d'entrer en 6e, de connaître autre chose que le petit village duquel mes parents avaient choisi de sortir leur fille unique pour mieux lui apprendre le partage et les autres. J'étais donc là, plantée dans mes habits neufs de pensionnaire, griffés de mon numéro "matricule 439".

Après avoir été une fille appliquée, je me suis appliquée à être une fille parmi les autres : l'internat qui nous était réservé, à Sainte-Claire, était un petit régime de faveurs. Grand dortoir du début où chacune succombait aux désarrois de la puberté, petites chambrées propices aux confidences par la suite. Je me souviens du premier opéra rock Starmania qu'on écoutait en boucle, des larmes de la communauté black à la mort de Bob Marley, des airs de guitare que je jouais pour ensommeiller mon dortoir... au terme desquels je n'arrivais plus à m'endormir dans le concert de ronflements que j'avais provoqué, je me souviens de la première nuit blanche à appeler les esprits autour d'un verre et de quelques lettres éparpillées dans le dortoir où la surveillante voulait bien se persuader qu'on dormait ; je me souviens que la télévision était proscrite sauf monument notoire du 7e art devant lequel tout le monde se massait sur invitation de la directrice, Mme Lefebvre, qui avait bien du courage de nous supporter en pleine splendeur de l'âge ingrat.
Chaque matin, c'était la montée vers les vieux murs, une approche au radar, premières douceurs du printemps le long du parc rasé de près ou hiver glacial pour ouvrir l'appétit au petit-déjeuner. Les années Saint-Jo, c'était l'apprentissage de la promiscuité et donc de la solidarité, le temps des grandes illusions et des petits drames intimes.. Le temps des paris stupides aussi, comme celui qui m'a fait jeûner une semaine pour un 33 T de Phil Collins !... Comme vous le voyez j'ai repris des forces depuis. C'était encore le temps où les grands réfectoires s'animaient lorsqu'on leur en donnait l'autorisation, et il était parfois bon de parler pour oublier le goût indéfinissable de ce que nous venions d'avaler.
Le mercredi après-midi était une bouffée d'oxygène : sortie d'une heure autorisée. Le centre ville de Sarlat voyait alors débouler dans les ruelles des cortèges de pensionnaires dévergondés, à la recherche d'un café pour refaire un monde déjà largement esquissé dans la cour de récréation.
Il faudrait encore évoquer, comme dans un inventaire à la Prévert, les parties de hand endiablées, la première cigarette dans les charmilles, la chorale dirigée de main de maître par l'abbé Zanette, les corvées de local, les projections "Connaissance du monde" générant d'innombrables papiers de Carambars et autres Dragibus sous les bancs, le rituel de la Sainte-Catherine pour les classes de Terminale, ses tenues de gala et ses exercices de style, l'heure de la prière où chacun se précipitait chaque soir à côté de sa chacune, les panières du goûter et les carrés de chocolats distribués à la tête du client, et bien sûr l'hymne de Saint-Jo porté par des voix mâles dont les basses faisaient vibrer les vieux murs... Saint-Jo, c'est ce mélange sucré-salé, qui persiste longtemps après qu'on en est parti. La première année de fac est toujours ravageuse, comme une bouffée de tous les possibles.
Et si je liste aussi facilement tous ces détails, c'est parce que j'ai intégré l'essentiel presque malgré moi comme un horizon de perfection à atteindre : la chaleur humaine, la glorification du travail, le sens de la hiérarchie, la compassion avec l'autre, la méthode et la rigueur, l'exemplarité, le respect de l'institution.

Parfois, seule face à moi-même, je me sens comme la petite fille de septembre 1975 dans la cour de Saint-Joseph, inconsolable. Mais lorsque je réussis un pari que je m'étais fixé, un projet de livre qui aboutit, je me vois remonter timidement l'allée centrale de la chapelle pour aller chercher mon prix de français, ces fameux jours où l'on égrenait tableaux d'honneur et satisfecit, et je suis tout simplement heureuse. Elisabeth se distinguait pour sa part en math, en filière D, au nez et à la barbe de sa classe d'hommes....

ED : Nous revoilà de concert pour vous dire combien nous sommes fières et heureuses de représenter la grande famille des anciens à cette fête de Saint-Joseph. La complicité qui nous unit est née un jour comme celui-ci.... et même si nous n'étions pas de la même promotion nous sommes du même berceau : Notre Collège.
Après avoir travaillé ensemble pendant quelques années pour le journal et les relations presse de la CCI de Périgueux, Suzanne a répondu à l'appel de Xavier Darcos pour travailler à la communication de la Ville de Périgueux et j'ai alors pris en charge celle de la CCI : la séparation était trop difficile... imaginez, quelques mètres....

ST : Elisabeth a donc rejoint l'équipe municipale en tant qu'élue en 2001 et nous oeuvrons aussi ensemble au sein du club de la presse du Périgord. Puisque Saint-Joseph est indissociable de Sarlat, cité de la Boétie, nous terminerons en empruntant à Montaigne la formule magique de leur amitié :

ED & ST : Parce que c'est elle, parce que c'est moi !
 
 




 

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